L’Art d’être fragile

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S’approcher d’À la Lune pour écouter le secret

De dix à vingt et un an,
je me suis replié sur moi-même
pour méditer, écrire, étudier les livres
et les choses

Lettre à Pietro Briguent, 21 Avril 1820

Cher Giacomo,

Prendre soin de la vie signifie pendre soin de quelque chose vivant, et qui oscille donc être un noyau qui et stable et ce qui, au contraire, se transforme. Comme la lune.
Parmi les objets que tu as observés avec le plus d’attention, en y voyant la synthèse du voyage existentiel, l’un des plus importants est la lune, que tu as étudiée et continuellement recherchée parce qu’elle est rétive à livrer son secret, elle qui, par un curieux accord entre rotations et révolutions, offre à nos yeux toujours la même face.
En la fixant – comme tu le faisais -, nous sommes pris d’un frisson, surtout quand elle set pleine.  Quand elle ne l’est pas, la regarder suscite une sort de nostalgie.  De semaine en semaine, cette beauté se perfectionne et s’accomplit, puis elle décroît et la nostalgie fait retour.  La beauté de la lune tient dans sa capacité à être pleine, sa complétude atteinte renouvelle le désir.
Un philosophe grec écrivit que le mot (Kalós) dérivant du verbe (Kaléo).  Il s’agit probablement d’une fausse étymologie, mais l’intuition de fond reste valide.  La beauté est un appel, les belles choses nous invitent à l’accomplissement.  Si elles avaient la parole, elle en useraient sous forme de question :
La pleine lune est une beauté qui été longuement et patiemment préparée, et au moment même où l’on la regarde elle s’évanouit déjà, réaffirmant ainsi qu’on ne possède jamais la beauté, qu’elle est toujours plus loin.  La lune appelle, convoque, invite, revoie à autre chose.
C’est pourquoi dans la poésie que tu lui as dédiée, À la lune, qui semble être un dialogue avec la bien-aimée, tu la chantes comme symbole perpétuel recommencement :

Ô lune emplie de grâce, il me souvient,
Sur ce col je venais (l’année revient)
Te regarder le coeur gonflé d’angoisse ;
Tu reposais alors sur cette sylve
Comme aujourd’hui, et tu l’illuminais.

Mais c’est justement la dialogue silencieux avec cette plénitude lumineuse qui réveillait en toi le sens d’une douloureuse incomplétude :

Mais, nébuleux, tremblotant, sous les larmes
Qui me montaient aux yeux, m’apparaissant
Ton clair visage, car pleine de tourments
Était ma vie – qui depuis n’a changé
Ô ma bien-aimée lune! Et cependant
J’aime la souvenance et de compter
L’âge de ma douleur.  Oh, comme est cher
Dans la jeunesse, quand longue est l’espérance
Encore, et bref le cours de la mémoire,
Le souvenir des choses disparues,
Encore que triste et que souffrance dure!

Tu l’as chantée comme les lyriques grecs, la lune, parce qu’il en allait du sens de ta vie.  Si tu avais un jour oublié la lune, tu te serais oublié toi-même.  Tu l’as chantée dans ton adolescence, époque de la vie où <> est longue encore / bref le cours de la mémoire>>, parce que sur l’expérience prévaut alors l’élan vers le futur.  Tu l’as idéalisée comme le symbole de l’art d’espérer, quand la vie était devenue trop pesante.
On dit que tes ultimes vers, dictés à la veille de ta mort, ont été dédiés au coucher de la lune : elle t’aura accompagné jusqu’à la fin comme le symbole de qui accueille son destin et lui reste fidèle, malgré son perpétuel changement.  Mais d’elle, miroir de ton âme, tu ne possédais pas pourtant l’inconscience, que tu lui enviais.  Être conscient de la disproportion entre notre désir d’infini et nos limites nous bouleverse, à la différence de la lune qui, pourtant changeante, reste fidèle à elle-même dans la précision de sa course inconsciente.
La fidélité à son propre destin, que les Grecs n’appelaient pas par hasard moira, c’est-a-dire la part assignée, est l’unique façon d’être heureux sur cette terre et d’être malheureux d’heureuse façon quand on n’y parvient pas, car le principe d’inspiration qui nous guide a la puissance de pouvoir bruler l’obstacle et l’échec, et trouve meme en eux le matériel pour renouveler sa flamme.
Je te dois aussi cela cher Giacomo : m’avoir fait voir, à travers ta chair et ta poésie, ce que signifie rester fidèle à son destin, quelles que soient les conditions dans laquelle il s’accomplira, et même en acceptant ces conditions comme l’occasion, la matière, de réaliser sa propre ouvre d’art.
Une dame, à qui j’ai demandé un jour ce qu’elle avait retenue de toi, m’a répondu : <> Ta vie, Giacomo, fut la lutte indomptée d’une âme qui été ravi par la beauté et qui combat pour la trouveras ses vers : si elle n’y parvient pas, elle se permet la bonne mélancolie, c’est-a-dire la douleur de ne pas avoir été a la hauteur et le désir de réessayer, mais sans fuir, en restant au contraire dans cette douleur, comme la graine qui, durant le fer hivernal, attends des temps meilleurs, attend d’être à la hauteur du prochain rayon de soleil.
Quand la vie semblait te priver de ce que tout adolescent désire (un corps aimable, la reconnaissance, l’amour), tu puisais au trésor inépuisable de ton ravissement pour en tirer des choses nouvelles, quelle que soit l’opinion des autres. C’est ainsi que tu libérais de cage de consensus d’autrui et employais tes énergies dans la patience inspirée que cet appel requérait.
Le secret que tu m’as révéler, c’est que ce destin n,’est jamais tout à fait atteint, car la vie n’est pas équilibre mais tension. Dans la nature, ce qui s’arrête a rejoint la mort. C’est sans doute la partie la plus incommodante de ton message : que la plénitude ne se conquiert jamais tout à fait, mais qu’elle ou <fidélité dynamique>, parce que nous sommes des êtres qui vivons dans le temps, appelés à adhérer à la vie comme à ses mutations. Le ravissement, comme dans l’amour, est le centre qui nous donne de l’énergie, mais il est constamment mis à l’épreuve, comme une structure antisismique, dont le secret n’est pas la rigidité rassurante du , mais bien son élasticité, sa capacité à s’approprier les sollicitations et à les seconder : résilience et résistance. Ce n’est qu’ainsi que la vie ne devient pas ennuyeuse et sclérosée sur des certitudes rigides, mais qu’elle est héroïque et érotique, toujours en tension vers l’accomplissement.
Mais si c’est la vie même qui, quelquefois, semble faire obstacle à tout ça? N’est-ce pas à elle que nous devons nous fier, Giacomo?  Et si elle, justement elle, nous trahissant après nous avoir séduits, ravis, appelés?…..

Comment un Poète peut nous sauver la vie

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